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PORTRAIT

LENNY M'BUNGA

Du rire pour conscientiser...

Par Ken Joseph / Photos Bazil

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PORTRAIT
18
JUIN
"23"

 « Quelqu’un qui ne connaît pas son histoire ne se connaît pas ».

À 33 ans, Lenny M’bunga, fait partie de ceux qui pensent que faire rire est un moyen de transmettre des messages bien plus puissants que de longs discours. Que ce soit sur scène ou par le biais de ses chroniques sur les réseaux sociaux, l’humoriste panafricain ne cesse d’apporter une vision plus claire et réelle de l’histoire de l’Afrique et de sa diaspora face à un inconscient collectif. Et qui de toute évidence nous appelle à une réflexion profonde sur nous-mêmes, sur ce qui nous a été appris et sur la place de l’Homme Noir à l’échelle de l’humanité. Un travail de mémoire essentiel, empreint d’humour et de prise de conscience, que l’artiste assume pleinement dans un monde où le soulèvement de questions et de revendications identitaires est exponentiel.

Né de parents réunionnais et congolais, c’est à l’âge de 8 ans, en classe de CE2, que le jeune Lenny M’bunga découvre sa passion pour la scène, lorsqu’il joue le rôle d’un père dans une pièce de théâtre, à l’occasion d’un spectacle de fin d’année. Fort de cette expérience et bien décidé à embrasser le métier d’humoriste-comédien, il entamera à l’âge de 17 ans une formation de théâtre classique et contemporain et s’essayera entre autres au cours Florent. Mais c’est finalement dans l’art du stand-up qu’il trouvera sa voie ainsi libre de s’exprimer et de faire entendre ses opinions.  

 

Après des débuts au Paname Art Café, il passera par les plateaux du Jamel Comedy Club, de l’émission Clique sur Canal + ou encore du Montreux Comedy Festival et les retours sont unanimes : l’humoriste est talentueux. Mais après ses deux premiers spectacles – Ce que veulent les femmes et Tous ego –, il entame un changement de style. Le résultat d’une crise identitaire qui l’a fortement poussé à s’interroger sur lui, sur son histoire, celle de l’Afrique et de sa diaspora. Thème qu’il développe dans son 3e spectacle « Diasporalement vôtre » et qu’il aborde sans complexe dans son tout nouveau one-man-show « Transmissions », déconstruisant par le rire tous les schémas faussement intellectuels qui font de l’Afrique un continent sans histoire, sans culture, sans tradition ni spiritualité… Sur scène, l’humoriste se joue des clichés, s’attaque à des sujets encore tabous en France tels que la colonisation, la traite négrière, l’esclavage, les tensions raciales et la décolonisation mentale qui selon lui est la clé du futur.

À l’approche de sa venue en Guadeloupe, à l’occasion de son nouveau One-man-show « Transmissions » qui se tiendra au Café Papier le 12 juillet prochain, l’humoriste a répondu sans détour aux questions de L’Incubateur.

 À VOIR

Dans de nombreuses interviews, vous revenez sur cette anecdote qui date de l’époque où vous étiez en classe de CE1. Où l’un de vos camarades vous lançait « de toute façon, vous êtes des esclaves ». Vous affirmez, sur le moment, que vous ne saviez pas quoi lui répondre. Ce jour-là, quel a été votre ressenti et aujourd’hui, à ce même propos, qu’auriez-vous répondu à ce camarade ?

 À l’époque, j’adorais avoir le dernier mot et là je n’avais aucune réponse. J’avais la rage, j’étais dépité, car je n’avais aucune connaissance de mon histoire. Alors, je suis allé voir mon père, et il m’a dit : « La prochaine fois, rappelle-lui qu’ils ne sont que des photocopies, qu’ils ne sont arrivés sur Terre qu’hier ». Aujourd’hui, je m’en amuserais et je le laisserais à son ignorance. Un lion ne peut pas se sentir insulté par un caniche. Il faut laisser l’ignorant à sa bêtise et à ses imbécillités, cela peut être contagieux. La seule personne que vous devez convaincre c’est vous-même.

Pour moi, l’estime de soi, ce n’est pas être propre sur soi – particulièrement dans ce monde fake et de m’as-tu-vu –, c’est avant tout, être un minimum conscient de qui l’on est, dans un monde qui a été dessiné par d’autres et pour d’autres.

Cet événement, votre double culture portant la mémoire de l’esclavage et de la colonisation et les réalités auxquelles vous avez été confronté en grandissant vous ont conduit vers une profonde réflexion identitaire… Comment avez-vous géré l’affaire ?

Cela a pris du temps et beaucoup de faits marquants pour que je réalise que quelque chose n’allait pas. Et que ce quelque chose était lié à ma couleur de peau, au fait que je sois descendant d’Africains. Ta couleur te ramène à ton continent et ton continent te ramène à ta couleur. Et j’ai compris que si je voulais voir du changement, il fallait d’abord avoir une autre vision, d’autres paradigmes du continent africain. Alors, je me suis mis à lire, à me déconstruire, à avoir un autre regard sur moi, mais aussi sur ceux qui m’entourent et sur l’Histoire avec un grand H. Cela a pris du temps, cela en prend encore, mais je me sens en adéquation avec moi-même.

 

Ce passage qui conduit vers ce qu’on qualifie aujourd’hui de crise identitaire est-il davantage présent chez les populations afrodescendantes ? 

Je pense qu’il a toujours été là, endormi en attendant l’heure. Aujourd’hui, c’est plus visible, car il y a internet, donc l’information circule plus facilement. Et dans un monde qui change géopolitiquement parlant, on est obligé d’avoir un point d’ancrage. Et aujourd’hui, les jeunes, notamment en Occident, en ont cruellement besoin. Pour savoir qui ils sont, ils sont obligés de passer par la case départ, par la base, par les parents, les ancêtres, donc le continent africain.

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Dans l’une de vos chroniques, intitulée « La leçon 20 », postée sur vos réseaux sociaux, vous dites : « Si je me suis posé la question, d’autres se la posent en ce moment même. J’ai la capacité et le devoir de faire ce travail de transmission. Je veux que ça aide la communauté à mieux se connaître ». Et vous rajoutez que « Quelqu’un qui ne connaît pas son histoire ne se connaît pas ». Pouvez-vous nous expliquer ce parallèle que vous faites entre l’Histoire et l’estime de soi ? 

Je me souviens d’une histoire qui parle d’un Noir, d’un Arabe, d’un Chinois et d’un Blanc. Ils sont tous dans un avion au-dessus de l’océan qui va se crasher. Et heureusement, il y a une île, l’île de l’estime de soi. Chacun a un sac avec 3 petits parachutes, qui assureront à leur propriétaire de bien atterrir sur l’île. Voici l’Arabe qui se lance en dehors de l’avion, il ouvre son premier parachute où il a écrit le mot : histoire (Ibn Khaldoun, les mille et une nuits, le zéro, les conquêtes du monde arabe). Ensuite le deuxième où l’on peut y lire : spiritualité (Islam). Et enfin, le troisième parachute qui porte l’inscription : culture et langue. Bam ! Il atterrit sain et sauf sur l’île. De même pour l’Asiatique : histoire (Empire de chine, empire mongol, etc.) ; spiritualité (Bouddhisme, hindouisme) et culture et langue. Bam ! Il atterrit à son tour. Et il en va de même pour l’Européen blanc. 

Arrive le tour du Noir. Il se jette, mais il n’a aucune connaissance de sa personne. Toute sa vie, il a renié son histoire, ses spiritualités, il a renié sa culture ou ses langues, donc ses parachutes ne s’ouvrent pas. Qu’est-ce qu’il fait ? Il s’accroche au parachute des autres. Il s’accroche à l’histoire des autres, à la spiritualité des autres, à la culture et aux langues des autres. Tout cela pour ne pas arriver au centre de l’île, mais sur le rivage à côté des requins. Pour moi, l’estime de soi, ce n’est pas être propre sur soi – particulièrement dans ce monde fake et de m’as-tu-vu –, c’est avant tout, être un minimum conscient de qui l’on est, dans un monde qui a été dessiné par d’autres et pour d’autres.

Leurs actions du passé ont permis qu’aujourd’hui que des millions de jeunes noirs puissent lever la tête fièrement. Et c’est cela ma vision du panafricanisme ; faire en sorte que nos actions d’aujourd’hui aient un impact sur les générations de demain.

Ce panafricanisme que vous prônez dans vos spectacles a-t-il aujourd’hui le même sens ou encore la même portée qu’à ses origines ? Aussi, ne se heurte-t-il pas à la mondialisation ?

Quelqu’un peut-il me donner une définition exacte du panafricanisme ? Non, parce que je pense qu’il y a autant de manières de voir le panafricanisme qu’il y a d’hommes et de femmes noires sur Terre. Le panafricanisme de Marcus Garvey ne ressemblait en rien au panafricanisme de Patrice Lumumba ou de Thomas Sankara. De même que celui de Sankara était différent du panafricanisme porté par Kwame Nkrumah. Mais je pense tout de même qu’ils avaient le même but. C’est-à-dire redonner au peuple noir ce qui lui revient de droit, sa liberté et sa dignité et sa place d’homme originel. Leurs actions du passé ont permis qu’aujourd’hui que des millions de jeunes noirs puissent lever la tête fièrement. Et c’est cela ma vision du panafricanisme ; faire en sorte que nos actions d’aujourd’hui aient un impact sur les générations de demain. Est-ce que cette vision va se heurter à la mondialisation ? Non, car cette vision a traversé les siècles, les âges. Elle a vu naître le capitalisme, l’impérialisme, l’esclavage, la colonisation, mais elle est toujours là. Parce que comme toujours chaque génération voit venir ses gardiens du temple. C’était déjà là avant, pendant, et ce sera là après, bien après même.

Sur scène, vous abordez des sujets tabous. À la fois sérieux et douloureux qui ravivent parfois des ressentiments. Et pourtant, vous arrivez à ce que le public soit pris de fou rire… En définitive, peut-on dire que le rire peut aider à réparer les maux, même les plus atroces ? 

On joue tous avec les armes que l’univers nous a données. Moi, j’ai la chance de savoir faire rire, donc je l’utilise comme support dans ce qui me paraît important. Pour d’autres, ce sera le chant, la sculpture ou la peinture… Bref, c’est l’art en général qui fait passer les meilleurs messages, mieux qu’un discours ennuyeux ou solennel. Puisqu’il touche les gens aux cœurs, dans leurs émotions. Nous, notre travail c’est de venir remuer tout ça.

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La France n’a jamais fait ce travail de réconciliation avec son histoire, elle a essayé de s’en sortir avec le célèbre « il faut laisser le passé au passé ».

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Contrairement à certains pays occidentaux, comme l’Angleterre, la France semble ne pas vouloir assumer son passé lié à la traite négrière, l’esclavage et la colonisation… Ni leur mode de sortie. Et malgré la loi Taubira qui avait pour effet de renforcer l’apprentissage de cette part de l’histoire de la France dans le milieu scolaire, force est de constater que de maigres avancées depuis son approbation en 2001 ! Par ailleurs, comment expliquez-vous qu’au moment même où s’exprime cette quête grandissante d’africanité que de l’autre côté naît un sentiment anti-français clamé par une certaine élite ? 

La France n’a jamais fait ce travail de réconciliation avec son histoire, elle a essayé de s’en sortir avec le célèbre « il faut laisser le passé au passé ». Ainsi, elle n’a jamais fait un travail pour traiter ces sujets, de telle sorte que son passé s’arrête à sa « grandeur » et point. On peut qualifier cela d’embarras ou de honte, car ils n’ont aucune réelle connaissance du sujet. Aujourd’hui, une partie de la société civile africaine joue un poids dans la balance de l’échiquier géopolitique mondiale. Elle n’est plus dupe et ne dit plus amen à tout, elle n’est plus aussi contrôlable. Ajouté à cela, l’arrivée des puissances asiatiques et la perte de territoires historiques pour ces élites. Il faut trouver un coupable et au lieu de se remettre en question, ça crée le soi-disant sentiment anti-français.

 

Après une tournée qui vous a mené aux quatre coins de la France, vous serez prochainement en Guadeloupe afin de présenter votre nouveau one-man-show « Transmissions ». À quoi doit s’attendre le public ?

Le public guadeloupéen doit s’attendre à retrouver un membre de la famille. Qu’il garde son énergie pour ce soir-là, car je vais le vider ! Il doit être prêt à entendre des histoires, jusque-là jamais racontées sur un ton humoristique. Il y aura un avant et un après mon passage.

 

En quoi « Transmissions » est-il si différent de votre précédent spectacle « Disporalement vôtre » ? 

« Transmissions » est beaucoup plus étoffé que « Diasporalement vôtre ». Si l’on comparait les deux, je dirais que « Diasporalement votre » c’est l’ébauche et « Transmission » l’œuvre achevée.

 

On résume la recette Lenny M’bunga : du rire, de la réflexion, de la générosité et un ton percutant ? 

Il y a de cela, mais c’est aussi une réelle volonté de transmettre.

 

Frantz Fanon, dans son testament intellectuel posthume, « Les Damnés de la terre », écrit : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir ». Conscientiser par le rire, c’est la vôtre ? 

Je pense que cela en est qu’une partie, le rire m’a fait rentrer dans ma mission, mais elle est loin, très loin d’être finie. Mais j’adore ce que je fais, c’est un bon début.

LE RENDEZ-VOUS

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Date et lieu

14 Jul 2023, 20:00 

Le Café Papier, Jarry, Guadeloupe

BILLETS

22 €

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